Le journal d'un confinement : Différence entre versions

De e-glop
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18h30, je boucle ma journée et j'entends sur France Inter Gabriel Attal (secrétaire d’État à la jeunesse) dire : "Ce que les ministres rappellent aux représentants du patronat c'est que la prise de conscience doit être globale. Elle l'est : on est en guerre, comme l'a dit le Président de la République. Et dans ces conditions là les employeurs y compris doivent être les mieux disant possible dans les droits qui sont donnés aux salariés." J'écris un email supra salé (trop) à ma chaîne hiérarchique au complet en copie au CSE. Perrine, après lecture, m'incite à écrire un email "d'adoucissement", ce que je fais. Le CSE rebondit immédiatement et demande des comptes. J'ai lancé un gros tremblement de terre dans la World Company. Pour plus de solidarité et ne pas laisser des camarades sur le bord du Covid.
 
18h30, je boucle ma journée et j'entends sur France Inter Gabriel Attal (secrétaire d’État à la jeunesse) dire : "Ce que les ministres rappellent aux représentants du patronat c'est que la prise de conscience doit être globale. Elle l'est : on est en guerre, comme l'a dit le Président de la République. Et dans ces conditions là les employeurs y compris doivent être les mieux disant possible dans les droits qui sont donnés aux salariés." J'écris un email supra salé (trop) à ma chaîne hiérarchique au complet en copie au CSE. Perrine, après lecture, m'incite à écrire un email "d'adoucissement", ce que je fais. Le CSE rebondit immédiatement et demande des comptes. J'ai lancé un gros tremblement de terre dans la World Company. Pour plus de solidarité et ne pas laisser des camarades sur le bord du Covid.
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== Jour 8 - Jeudi 19 mars 2020 ==
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J'ai quand même bien foutu le feu hier au boulot. Mais c'était légitime.
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Le moral est très bon. Il fait assez beau pour que ça aide.
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On commence à s'habituer... mais petite inquiétude ce matin : nous sommes arrivés au bout de nos réserves de pain. Comment faire pour s'assurer d'une hygiène au top pour les autres d'abord puis pour nous. Se laver les mains avant de partir à la boulangerie (et espérer qu'elle soit ouverte). Penser à y aller sans les chiens, à pied. Faire sa "fiche de circulation". Prendre le pain, ne pas toucher à autre chose, surtout pas le visage. Mettre le pain dans un espace non "courant" de notre lieu de vie (une Tinyhouse de 12m²), le plus au chaud possible. Attendre au moins 5 heures. Préférer du pain conservable (pas de baguette blanche), en prendre le double de l'habitude pour éviter les A/R inutiles. Ne rien toucher à l'intérieur à mon retour. Me laver consciencieusement les mains. Avoir été attentif à la proximité et envisager de me changer en rentrant. Psychose. Ça va être marrant d'aller faire le réapprovisionnement. Pensée pour les commerçants et artisans de l'alimentaire qui peuvent se poser ces questions tous les jours et qui savent qu'ils prennent des risques pour l'intérêt commun. Vis ma société de confinement. Il est midi. Je prépare des fiches de circulation vierges, à la main (nous n'avons pas d'imprimante fonctionnelle en Tinyhouse) et une liste pour les courses, histoire de tout faire d'un coup. Je me maudis d'avoir oublié mes bouquins à la librairie vendredi ou samedi. C'est bien le truc que j'ai manqué.

Version du 19 mars 2020 à 11:24

Jour 1 - Jeudi 12 mars 2020

Macron annonce la fermeture des écoles pour lundi. Mon intuition est que c'est une montée progressive en charge. L'Italie a 1 semaine d'avance sur nous et est déjà en confinement presque total, au moins dans le Nord. C'est ce qui nous attend. Statistiquement le nombre de "contagieux" (pas le nombre officiel) est encore relativement faible à Quimper, en espérant que je n'en fasse pas déjà partie. On s'est fait un "Jeudi Ceili - End of the World Party". On embrasse une dernière fois les copains, avec un pincement genre "on devrait pas"... et retour à la maison. Déjà en tête, je passe en revue l'organisation à mettre en place pour pas péter un plomb à deux... heureusement qu'on vit sur un grand terrain et qu'on a des travaux en cours, et que je ne manque pas d'imagination côté métier (programmation, cybersécurité). Le monde est à qqs jours de l'explosion. Le 2nd tour des municipales est un fumeux délire.

Jour 2 - Vendredi 13 mars 2020

Vendredi 13, ça commence mal.

Je fous gentillement ma moto par terre à la sortie du garage. J'ai pas les yeux en face des trous : j'ai passé tout mon sommeil "actif" à penser aux tenants et aboutissants de ce qui se prépare. Je me pose la question si notre grippe de février ne pouvait être rapprochée du Covid-19. Il faut que je contacte O*****. Direction Brest.

Sur place, en milieu d'après-midi, mon collègue reçoit un coup de fil, change de tête, raccroche et nous dit : "ma femme est contagieuse, moi aussi, donc vous aussi probablement. elle a soigné un patient suspecté Covid-19 il y a 6 jours." Et là tout devient plus réel. On se regarde tous les trois dans le petit bureau. Une collègue revient des toilettes. Comment lui annoncer. Que doit-on faire / pas faire. Qu'a-t-on touché depuis ce matin dans le bureau ? Et derrière la vitre il y a 10 personnes qui bossent. Mon manager prend la responsabilité de leur parler. Je prends la charge de la désinfection du bureau, des poignées, etc. Je rentre chez moi : que faire ? Masque, gestes barrière, organisation méthodique, préserver Perrine. 1h plus tard, l'info est revient : le patient à l'origine de la contamination a été testé négatif. Ouf. Au moins je vois ce que "ça fait".

Jour 3 - Samedi 14 mars 2020

Je fais le marché, on fait les courses. Les connaissances que je croise veulent me serrer la main ou m'embrasser, je refuse : "je suis une personne à risque". Réponse mitigée. Les gens ne comprennent pas, n'arrive pas à concevoir ce qui se passe.

Travaux à la maison pour la terrasse avec mon beau-père. Nous sommes sur la même approche, pragmatique et réaliste. Gestes barrières, éloignement immédiat. Nous savons que ça va se durcir. Tour de déchetterie pour se désencombrer avec le "shut down" qui s'annonce.

Le soir même l'exécutif annonce que tous les ERP non essentiels sont fermés. Ça se confirme, malheureusement.

Jour 4 - Dimanche 15 mars 2020

Travaux à la maison, glandouille, sidération, prise d'informations.

On va chercher de la nourriture pour les chiens chez des amis, qui en ont pris de longue date pour nous. Ils reviennent de quelques jours de vacances dans le département. Ils ne réalisent pas et se moquent de nous quand nous restons dans l'entrée, loin d'eux, sans toucher leur fille. On essaie de leur expliquer, mais c'est pas facile à faire passer.

Il y a des sautes d'humeur à la maison. Perrine a du mal à envisager le confinement. Dans notre foyer, moi je suis les racines, elle les ailes. On voit bien le tableau se préparer.

Jour 5 - Lundi 16 mars 2020

X**** notre ami menuisier vient pour continuer la pose du plancher de la maison. Il ne comprend pas pkoi on ne s'embrasse pas le matin. La veille au soir il a cherché désespérément un kebab d'ouvert en ville. Il peste sur le fait que McDo était fermé et la "psychose" qui traverse tout le monde, selon lui. On y va par petites touches. Il est possible qu'il n'ait pas le droit de récupérer son fils ce WE ou durant les vacances à venir. Il vacille et son faux réalisme "il ne se passe rien" fait de la résistance. En fin de journée, il a un peu mieux compris. Il se met même à paniquer pour des matériaux qui lui manquent pour faire avancer son auto-construction qui lui permettrait de "rentabiliser" son confinement et lui permettrait d'avancer significativement sa construction qui est bien en retard.

Au boulot, on nous envoie des "plans de continuité de l'activité" qui ne tiennent pas debout. Les réflexes des collègues sont même en avance sur leurs directives. Mon manager semble être allé, avec une collègue qui a traversé le département pour ce faire, à une réunion de qualification chez un client. Inconscients, ça me fait bouillir.

J'ai réussi à me faire livrer, en fin d'après-m, des matériaux commandés en urgence le matin même. J'ai de quoi faire pour les 30 prochains jours (le temps que le béton ne sèche). ;) Mon pote menuisier débarque et serre la main sans retenue du livreur qui présente son poignet. Tout n'est finalement pas complètement rentré.

Macron prend la parole et parle de guerre. Tout se referme le lendemain. Je m'aligne, pour une fois, sur l'exécutif, avec même un peu d'avance.

Jour 6 - Mardi 17 mars 2020

Confinement. Congés forcés par mon employeur. Petites tâches numériques de fond, veille Coronavirus, jardinage ++.

J'ai O***** au téléphone. Je mise sur 5% de chances que ma grippe ait été le Covid-19, et que je lui ait refilé. Je ne rentre pas dans les arguments dans le sens de ces 5%, mais j'ai bien étudié le truc et ça peut tenir... à 5%. Ça serait cool pour nous (immunité), mais par contre on aurait été sacrément vecteurs pour les autres. Bref, petit fantasme.

Le soir Perrine se scandalise de personnes vues à surfer sur la côte. Elle dit "si tout le monde suit les consignes de confinement, ça ne sera que plus court". C'est scientifiquement faux : le confinement ne fait que retarder l'épidémie pour éviter la surcharge intenable des hôpitaux... il ne peut pas la stopper (on ne stoppe pas la grippe saisonnière, même avec des vaccins). C'est inaudible pour elle et je me fais descendre : ce que j'estime être du réalisme scientifique l'insupporte. Elle me targue de catastrophiste (prenant pour base l'ensemble des messages échangés dans la journée dans des groupes numériques communs). Je sais que plus on restera longtemps confinés, le mieux ça sera pour la santé publique (aplatissement de la vague épidémique, temps gagné pour trouver un vaccin/traitement...), même si c'est contre-intuitif. Au final (sauf vaccin) on sera 60 à 70% environ à avoir contracté la maladie quand celle-ci s'étouffera d'elle-même.

Juste avant de dormir j'apprends que Marc (mon beau-frère) a été en contact avec des enfants testés positifs au Covid-19. Il l'a appris le matin même. La veille au soir son fils voyait sa copine pour la dernière fois avant le confinement.

Jour 7 - Mercredi 18 mars 2020

Ch****** me passe un coup de fil ce matin : elle a été diagnostiquée Covid-19 par son médecin de ville. Elle a la tête sur les épaules mais est catastrophée par ailleurs : elle qui lutte contre la mondialisation, le capitalisme depuis si longtemps, la voilà victime directe. Les symptômes décrits sont étranges et pas exactement ceux de la grippe décrits dans la littérature que je consulte. Je dois lui trouver des groupes de recherche participative sur des traitements alternatifs.

Aujourd'hui je fais gaffe de ne pas "catastropher" dans les cercles de proches, je suis la remarque de Perrine. Tout le monde n'est pas capable d'encaisser ce type d'info sans douleur.

9h30 ce matin, je suis en vacances (forcées). Ma directrice (n+2) m'appelle. On a besoin de moi à 16h pour présenter à 17 cadres intermédiaires l'offre dont j'ai la charge. Je dis OK. Elle me dit que la demie-journée de congé sera annulée. C'est juste que j'ai plus de 4h de mobilisées entre la préparation et la visioconférence.

15h50 j'apprends que mon binôme, que j'ai poussé à venir dans la boîte, sera licencié, il est en période d'essai. 16h, je dois présenter mon offre avec en tête la disparition de mon binôme. Je fais de mon mieux.

18h30, je boucle ma journée et j'entends sur France Inter Gabriel Attal (secrétaire d’État à la jeunesse) dire : "Ce que les ministres rappellent aux représentants du patronat c'est que la prise de conscience doit être globale. Elle l'est : on est en guerre, comme l'a dit le Président de la République. Et dans ces conditions là les employeurs y compris doivent être les mieux disant possible dans les droits qui sont donnés aux salariés." J'écris un email supra salé (trop) à ma chaîne hiérarchique au complet en copie au CSE. Perrine, après lecture, m'incite à écrire un email "d'adoucissement", ce que je fais. Le CSE rebondit immédiatement et demande des comptes. J'ai lancé un gros tremblement de terre dans la World Company. Pour plus de solidarité et ne pas laisser des camarades sur le bord du Covid.

Jour 8 - Jeudi 19 mars 2020

J'ai quand même bien foutu le feu hier au boulot. Mais c'était légitime.

Le moral est très bon. Il fait assez beau pour que ça aide.

On commence à s'habituer... mais petite inquiétude ce matin : nous sommes arrivés au bout de nos réserves de pain. Comment faire pour s'assurer d'une hygiène au top pour les autres d'abord puis pour nous. Se laver les mains avant de partir à la boulangerie (et espérer qu'elle soit ouverte). Penser à y aller sans les chiens, à pied. Faire sa "fiche de circulation". Prendre le pain, ne pas toucher à autre chose, surtout pas le visage. Mettre le pain dans un espace non "courant" de notre lieu de vie (une Tinyhouse de 12m²), le plus au chaud possible. Attendre au moins 5 heures. Préférer du pain conservable (pas de baguette blanche), en prendre le double de l'habitude pour éviter les A/R inutiles. Ne rien toucher à l'intérieur à mon retour. Me laver consciencieusement les mains. Avoir été attentif à la proximité et envisager de me changer en rentrant. Psychose. Ça va être marrant d'aller faire le réapprovisionnement. Pensée pour les commerçants et artisans de l'alimentaire qui peuvent se poser ces questions tous les jours et qui savent qu'ils prennent des risques pour l'intérêt commun. Vis ma société de confinement. Il est midi. Je prépare des fiches de circulation vierges, à la main (nous n'avons pas d'imprimante fonctionnelle en Tinyhouse) et une liste pour les courses, histoire de tout faire d'un coup. Je me maudis d'avoir oublié mes bouquins à la librairie vendredi ou samedi. C'est bien le truc que j'ai manqué.